Par un petit matin du mois d’août 1969, le soleil s’est invité dans la chaleur humide que la nuit n’avait pas réussi à dissiper. Après avoir arrêté la sonnerie d’un cadran qui aurait pu réveiller un bataillon de pompiers, je me suis levé pour aller remplir ma mission. En versant une rasade de lait dans un bol de céréales en forme de lettres de l’alphabet, j’ai saisi un exemplaire de mon journal. En ouvrant la première page, je suis tombé sur un reportage concernant un festival de musique rock qui se déroulait à Woodstock.

Au milieu de la page, une photographie présentait une superbe fille, seins nus, qui dansait parmi un groupe de jeunes exaltés. Un éclair fulgurant m’a alors traversé de part en part. J’aurais voulu être téléporté sur-le-champ à Woodstock. Ce jour-là, en livrant mes journaux, j’ai eu le sentiment d’être à l’avant-garde d’une grande révolution. C’était tout de même mieux que de distribuer des photos d’enfants brûlés au napalm durant la guerre du Vietnam.

À la fin de ma tournée, je suis revenu chez moi en prenant soin de conserver un exemplaire du journal. Après avoir lu l’ensemble du reportage sur le festival de Woodstock, je me suis rendu au point de rassemblement de ma bande d’amis. Progressivement, cinq ou six garçons sont venus me rejoindre sous un immense chêne centenaire dominant la ruelle de la troisième avenue du quartier Rosemont. En extase devant le journal posé au sol, nous avons compris que des changements extraordinaires étaient en train de se produire à travers le monde et nous avons décidé d’essayer de vieillir plus rapidement pour pouvoir en profiter.

Comme les hippies, nous avons commencé à porter des vêtements multicolores, même s’il était plutôt ridicule de jouer au baseball en portant des souliers plateformes et des pantalons tailles basses à pattes d’éléphant. Dans le sous-sol de la maison d’un de nos amis, qui n’avait pas un père autoritaire, nous avons aménagé un espace éclairé au black light. Dans ce repère psychédélique, tapissé de posters fluo éclairés au black light, nous avons passé des heures à écouter la guitare envoûtante de Jimmy Hendrix en donnant l’impression que nous étions complètement ailleurs, alors que nous n’avions jamais autant été là.