MAHATMA PRUNEAU
Mahatma : mot hindi qui signifie littéralement « grande âme » / chef spirituel qui s’impose par sa sagesse et son ascétisme / le Mahatma Gandhi
- Yolande, Benjamin et Étienne, famille et amis de Michel
- D’abord : je vous demande un énorme effort d’imagination, imaginez que DenisMichaud et moi avons + ou – 20 ans… gros effort je sais… nous avions quelques
cheveux en plus et quelques kilos en moins…
- Transportons nous maintenant dans cette époque ou Michel, Denis et moi avionscomme carburant ces 20 ans où, comme l’a écrit Léo Ferré,
Pour tout bagage on a vingt ans
On a une rose au bout des dents
Qui vit l’espace d’un soupir
Et qui vous pique avant d’mourir Quand on aime c’est pour tout ou rien C’est jamais tout c’est jamais rienCe rien qui fait sonner la vie
- Nous vivons une époque incroyable, nous voyageons sur la fin de la queue de ceux qu’on définit comme étant des boomers et que la firme de sondages Léger recense autour de mots clefs comme « détaché d’entraves plus terriennes, enfants de la guerre froide, invention = la télévision, idéalisme, implication, passage d’une relation d’autorité hiérarchique à une relation horizontale avec notre phrase générationnelle « il est interdit d’interdire » et notre attitude : « Je peux ».
- Le Québec est en ébullition, c’est l’aboutissement d’une révolution tranquille qui nous a donné un ministère de l’Éducation, le réseau pan-québécois de l’UQ dont l’UQAM, les CÉGEPS… pour beaucoup et j’en suis, nous sommes la première génération de leur famille à aller à l’université. Le PQ est au pouvoir, le référendum, le RCM est en construction à Montréal. Refaire le monde, rien de moins, tout est possible. C’est l’époque de régimes totalitaires – gentiment soutenus par les USA – au Portugal, (Salazar 32-68), Grèce (Papadopoulos 67- 73), en Haïti (Duvalier papa et bébé 57-71-86), au Chili (Pinochet 74-90), en Argentine (Peron 76-83), l’URSS existe toujours, le mur de Berlin tiendra jusqu’en novembre 89. La guerre du Vietnam vient de se terminer, place au flower power. C’est dans ce vivier historique que Michel, Denis et moi évoluons, participons, échangeons.
- Nous sommes sur la rue Saint-Urbain à Montréal au University Settlement of Montreal, un « laboratoire » des sciences sociales de l’université McGill et des promoteurs des Golden Gloves, les jeunes qu’on initiait à la boxe. En 1979, Denis Michaud est embauché comme DG pour sauver les meubles et relancer l’organisation – les finances sont pas reluisantes; à la même époque, en 1977, j’ai alors 21 ans, on m’embauche pour redonner du souffle à un domaine qui leur appartient mais où plus personne ne va depuis plusieurs années, à Chertsey dans les Laurentides, un superbe site qui deviendra le Camp Familial St-Urbain. Michel se pointe au tournant des années 80 comme directeur des programmes à ce qui est devenu « Le Centre Multi-Ethnique St-Louis », francisé grâce aux pressions des québécois? Non, grâce aux pressions des portugais et des haïtiens… Nous sommes des centaines de jeunes grecs, portugais, haïtiens, chiliens, berbères, argentins, québécois et autres qui devons trouver des zones communes de rapprochement, de développement et de bienveillance.
- Et c’est un p’tit jeune de 22 ans, Michel Pruneau, qui arrive comme directeur des programmes de ce melting pot qui réunit une garderie, un atelier protégé pour toxicomanes (Millye Ryerson), un gym, des cours, des formations, un café multi- ethnique, des participations aux débats publics, aux créations de coop de logement… et aux nombreuses manifs!
- Michel est bien sûr partie prenante de tout ce brouhaha social intense et passionnant, il en est une des chevilles ouvrières. Nos journées sont incroyablement meublées d’échanges, de débats, de défis, d’horizons qu’on repousse toujours encore plus loin. Par exemple, Michel doit animer une rencontre où se présentent un laotien, un cambodgien et un vietnamien… on plaide le rapprochement au centre mais Michel dois gérer une rencontre où ces trois personnes refusent d’être à la même table… les cicatrices peuvent être profondes.
- Mais Michel a un je ne sais quoi de force tranquille, d’observateur. Sa voix radiophonique, son regard… son regard… Il est comme une coche au-dessus sur le plan de tout ce qui est immatériel. À cette époque, je fais mon droit en même temps que je travaille au Centre; même si je fais mon droit je peux vous dire que lors de quelques fins de longues soirées je marchais un peu croche avec mon ami Denis au détour d’une soirée où nous invitions quelques bouteilles pour soutenir notre réfection du monde.
- Michel, ce n’était pas son truc. Il profitait de tout son temps pour suivre sa trajectoire ésotérique, pour nous amener ailleurs dans nos réflexions, pour nous parler de chakra et d’acupuncture. Michel ne s’intéressait pas à ces domaines, il les habitait. Et il prenait soin parfois de façon particulière sinon spectaculaire de nous faire visiter cette maison d’idées, d’esprits, de courants immanents traversant les cloisons…
- Imaginez un petit local ou j’ai réuni les membres de notre comité de gestion du Camp Familial St-Urbain. Michel en fait partie. Je suis particulièrement heureux du dénouement d’un gros dossier : l’Association de Paralysie Cérébrale du Québec vient de nous confirmer quelques centaines de milliers de $ pour adapter un pavillon du camp et des accès pour leur clientèle à mobilité très réduite qui nécessite des soins de tout moment.
- J’annonce ça au groupe avec beaucoup de sérénité…Je m’attendais à toutes les réactions sauf celle de Michel. « Wow Alfred, ton aura est resplendissante! Un bleu super lumineux, doux avec un rayonnement incroyable…! » Mettons que ça surprend! On était tous là à se regarder et à se demander « pis lui ou elle, c’est quoi la couleur de son aura?… On se passait la main dans les cheveux, on avait l’impression d’être complètement nu devant Michel… ça c’est une fois sur des dizaines de fois. Avant d’être au centre j’étais parti 1 1⁄2 an en Afrique et en Asie dont plusieurs mois en Inde, et j’en avais ramené ce qui me semblait un bon portrait sociologique et politique. Michel lui, montréalais devant l’éternel, était déjà habité par toute la métaphysique, la transcendance, l’ésotérisme de l’Inde. Michel me rapprochait de ce qu’on appelait là-bas un mahatma, comme le mahatma Gandhi… une grande âme… Mahatma Pruneau.
Michel et moi avons repris contact au détour des années 2010. J’ai à nouveau rencontré cet être extraordinaire. Pierre Bourgault dans « Les écrits polémiques » décrit bien ce passage : On est passé de la vingtaine à la cinquantaine : à vingt ans, on exige la liberté de voyager à travers le monde pour tenter d’y découvrir la vérité des autres. À cinquante, on n’en finit plus de voyager chez soi à la recherche de sa propre vérité.
Chipoteux sur les mots, attentifs aux nuances, observateur et accompagnateur, attentionné et passionné d’histoire, de lecture et d’écriture. Je retrouvais le jeune Pruneau qui m’avait fait tellement forte impression lors de nos débuts respectifs dans nos vies d’adulte. Je retrouvais ce Michel qui alliait une approche impressionniste et académiste, deux approches qui souvent s’opposent, une devant remplacer l’autre, mais que Michel réussit à marier en saisissant la mobilité d’un phénomène tout en l’analysant dans une grille plus académique, plus stricte.
Bref, ce n’est pas plus reposant que ce l’était à vingt ans quand on échange avec Michel. Si tu émets un point de vue devant Michel ou qu’il est susceptible de te lire, attends toi à recevoir une réaction encyclopédique sur le sens à donner à tel concept, sur la vraie trajectoire d’une décision publique qui omet de dire ceci ou cela…
Pas reposant mais tellement stimulant, parfois enivrant. Le Michel des 20 ans et des 50 ans n’a pas dérogé à sa trajectoire. Il demeure cette grande âme, cet être exceptionnel qui voyage autant dans la connaissance que dans l’essence de la vie.
Plus récemment, à l’été 2020, Michel et Yolande sont venus souper à la maison. J’ai revu mahatma Pruneau, cette grande âme que la pandémie avait fait trébuché. Mais c’était toujours Mahatma Pruneau, en processus de remontée. Puis la retraite, la détresse, la rechute… Puis le téléphone de Yolande, la douleur extrême et la souffrance indicible de Michel, puis… La peine…
Michel m’avait dédicacé son ouvrage « Mémoire de guerrier, la vie de Peteris Zalums » de la façon suivante : « À mon ami Alfred, une histoire de libération et du prix qu’il faut sauvent payer pour y parvenir, à bientôt, Michel »
Dans son livre, Michel remercie Yolande Garant pour son appui tout au long du processus de mise au monde et j’ajouterais pour cet appui de toute une vie… Il écrivait également Merci à mes fils Benjamin et Étienne qui pensent avec raison que tout est possible.
Et moi aujourd’hui, je te dis Merci Michel. Tu m’accompagneras toujours. Alfred Pilon – 19 septembre 2021
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