Porteur de lumière
J’ai rencontré Michel lors d’une période charnière de ma vie. Je venais de claquer la porte à Hydro-Québec, où on me demandait «d’amoindrir l’impact» des informations exactes que je donnais sur les territoires inondés à LG2, dans une vidéo.
Cet été-là de 1987, j’avais donc du temps, et un peu d’argent, pour errer un brin, pour faire le point sur ma «carrière». Tiens! Je choisis de m’inscrire à un congrès de 4 jours sur l’astrologie (ma passion de l’heure) et, ensuite, à un cours complet de shiatsu à Marie-Victorin. Histoire de voir si je suis fait pour soigner, auquel cas je me propose d’aller étudier en ostéopathie.
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Au Cegep, dans une salle, Michel Pruneau nous présente les volets de la formation. Il a l’air très assuré, compétent, le tout semble parfaitement organisé. C’était, d’emblée, rassurant et engageant.
Cette inscription faite spontanément m’a ouvert à différentes connaissances et, c’est important, à de nouvelles rencontres: Michel, Pierre-Laurier Desjardins, le prof d’anatomie et… Jacinte, une étudiante, le Grand amour de ma vie! Et plus tard, dans un party, l’amoureuse de Michel, Yolande Garant, elle aussi en communication! (Yolande et moi allions travailler ensemble l’année suivante, assez intensément.) Puis, plus tard, Marie Provost, l’amoureuse de Pierre-Laurier, qui s’occupait de plantes médicinales. Tout un réseau naissait! Mais sans l’initiative d’un homme convaincu, Michel, ce cours de Shiatsu n’aurait pas existé à ce moment-là, dans cette forme-là.
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Je peux me tromper, mais il me semble que c’est Christian Bobin qui dit quelque part que… le Diable, c’est dire : « À quoi bon? ». Quand tout devient insignifiant, quand chaque petit geste ne semble plus en valoir la peine. Et pourtant, chaque geste compte, car il crée une vague qui rejoint d’autres baigneurs.
Cette initiative de Michel m’a touché moi un été où ça comptait et beaucoup de choses en ont découlé.
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Ce n’est pas pour rien que j’ai joint à ce texte une photo d’un vitrail dessiné par Matisse pour la chapelle de Vence qu’il a conçue. Je ne suis pas sûr que ni Matisse, ni Michel était chrétien, si ma mémoire est bonne (…) Ce qui est certain, c’est qu’ils étaient tous deux, chacun à sa manière, des vecteurs de lumière, car l’art ou l’éducation, le savoir, l’information ou l’écriture peuvent être des sources de lumière. Dans ce sens-là, les carrières respectives de Michel et de Yolande ont été consacrées à cet objectif.
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Mais des fois la lumière s’éteint, la nuit par exemple. C’est juste bon, parce que la machine photosynthèse de la plante a besoin d’un peu de repos journalier. Et nos têtes pleines d’idées ou de tracas ont aussi besoin de noirceur pour se reposer sur l’oreiller.
Mais des fois… la lumière s’éteint trop longtemps. Des fois, y’a un court-circuit dans la boîte électrique. On voit plus rien, l’énergie ne se refait pas, y’a plus de couleurs.
D’une manière, c’est pour ça que je suis pas là avec vous en ce dimanche 19 septembre, c’est pour ça que j’écris ce texte à la place, que j’ai pensé fort à Michel, Yolande et la famille, hier et aujourd’hui, à distance. J’espère que vous me pardonnerez mon absence physique.
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Hier, la Lune en Verseau passait sur Jupiter, qui est le maître de son signe Sagittaire et se dirigeait, pendant la cérémonie, vers une Pleine Lune. Je dis ça… parce qu’il s’en serait bien moqué, Michel, qu’on aurait fait un petit débat mêlé de logique, de sources fiables et d’humour et, qu’au bout du compte, ni l’un ni l’autre n’aurait convaincu l’autre! C’était un des plaisirs de rencontrer Michel: ces débats d’idées, ces polémiques plus ou moins sérieuses selon l’occasion et toujours… l’intelligence, l’humour.
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C’est pas juste blanc, la lumière, c’est toutes les couleurs du prisme. Elle est importante cette variété de la lumière et je me demande des fois si Michel n’en a pas souffert de ce climat actuel, où être différent, penser différemment, devient difficile, semble-t-il…
Dans ma petite noirceur actuelle, ça m’a beaucoup secoué et beaucoup fait réfléchir cette grande noirceur qui semble s’être abattue sur lui progressivement. Nos parcours respectifs nous avaient éloignés depuis quelques années; je n’étais pas au courant de son état de santé, qui s’est installé à partir du printemps 2020, m’a raconté Yolande en m’apprenant la nouvelle. Le choc a été d’autant plus fort.
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Il en a fait beaucoup, Michel, des petits et des grands gestes signifiants qui ont fait des vagues, qui ont touché des centaines de personnes (des milliers en fait je pense) : amis, enfants, confrères et consoeurs, étudiants, lecteurs et lectrices, etc. etc.
Le mieux pour honorer sa mémoire, c’est peut-être d’en faire à notre tour, des gestes, même un petit, même un geste insignifiant (qu’on dit). Et ça fera de la lumière, j’en suis sûr.
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Yvan